
KUMIUT a assisté à la remise des prix pour la prévention des conflits de la Fondation Chirac, le 22 novembre 2012, Paris
La Fondation Chirac, lancée en 2008 au musée du quai Branly, avec la mission de « poursuivre le plaidoyer de Jacques Chirac en faveur de l’accès aux droits fondamentaux pour chaque être humain, ainsi que pour la recherche du dialogue et de la paix entre les peuples », remettait ce jeudi 22 novembre ses Prix pour la prévention des conflits en cette même enceinte, ô combien symbolique et porteuse d’un message fort et universel : « là où dialoguent les cultures ».
« Se mobiliser pour que prévale la paix sur les facteurs de guerre »
Dans le théâtre Claude Lévi-Strauss, en présence de Bernadette Chirac – représentant Jacques Chirac son époux et Président de la Fondation, d’Abdou Diouf, ancien Président de la République du Sénégal et actuel secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), de Vaira Vike Freiberga, ancienne Présidente de la République de Lettonie, de Michel Camdessus, ancien Directeur général du Fonds Monétaire International, du Dr. Ismaïl Serageldin, Directeur de la Bibliothèque d’Alexandrie, de Stéphane Martin, Président du musée du Quai Branly, et devant un parterre composé de dirigeants politiques de tous les continents, d’ambassadeurs, de journalistes et de quelques observateurs privilégiés, s’est ouverte la 4ème cérémonie de remise des prix pour la prévention des conflits. On aura noté la présence plus discrète et moins médiatisée de Christine Albanel, François Barouin, Jean-Pierre Raffarin, ainsi que Yamina Benguigui, ministre déléguée aux français de l’étranger et à la francophonie.
La cérémonie, animée par Philippe Dessaint, journaliste et chef des opérations spéciales et internationales à TV5Monde, a débuté par quelques rappels directement en lien avec les quatre missions de la Fondation Chirac :
1) L’accès à une santé et à des médicaments de qualité, « entre 20 à 30% des médicaments dans le monde sont des faux […] dans la meilleure hypothèse, ça ne sert à rien […] sinon, cela peut être [extrêmement] nuisible, a rappelé Jacques Chirac à l’occasion d’une intervention vidéo présentant un projet développé en Côte d’Ivoire pour améliorer l’accès aux soins des malades atteints du sida, en particulier des enfants.
2) L’accès à l’eau et à l’assainissement, « 900 millions de personnes dans le monde n’ont pas accès à l’eau potable, un individu sur deux ne dispose pas d’installation sanitaire » ; « l’eau c’est la vie, mais c’est aussi la 1ère cause de mortalité dans le monde, notamment des enfants de moins de 5 ans […] c’est un droit fondamental reconnu par les nations unies ».
3) L’accès aux ressources de la terre.
4) La défense de la diversité culturelle.
Bernadette Chirac a ensuite pris la parole pour porter le message de Jacques Chirac, absent de la cérémonie, à destination des deux lauréats des prix 2012 de la Fondation : le Père Francisco de Roux (Prix de la fondation Chirac), récompensé pour son action en faveur du développement et de la démocratie en Colombie, et Radhika Coomaraswamy (Prix Spécial du Jury), ancienne Représentante Spéciale du Secrétaire général des Nations unies, récompensée pour son action en faveur de la protection des enfants dans les conflits armés.
Elle a notamment félicité les deux lauréats « deux grands acteurs de la paix », saluant à travers eux l’engagement et le courage de celles et ceux qui « dans la discrétion œuvrent souvent au péril de leur vie […] des femmes et des hommes d’exception, qui luttent sans relâche contre la violence et la destruction et qui sont autant de remparts contre la folie des hommes ».
« Un pays privé de son passé est un pays privé de son avenir… »
Abdou Diouf, invité d’honneur de la cérémonie pour remettre les prix de la Fondation, est alors intervenu pour parler de l’Appel de Tombouctou (pétition à signer en ligne), signé le 14 juillet 2012 à l’initiative de la Fondation Chirac, et souligner l’importance d’un engagement fort pour stopper un crime contre l’Afrique et contre l’humanité toute entière. Cet appel en forme de mobilisation à destination de la communauté internationale pour « sauver Tombouctou, son patrimoine culturel et le Mali » à une visée triple :
- L’arrêt des violences et de la barbarie extrémiste
- Un plan Marshall pour lutter contre la crise alimentaire
- La mobilisation de la communauté internationale
Marguerite Barankitse, dite « Maggy », lauréate du Prix de la Fondation en 2011 pour son action en faveur des enfants victimes des conflits au Burundi et fondatrice de la Maison Shalom, est alors à son tour montée à la tribune. Contre toute attente, alors qu’elle devait présenter ses actions récentes suite à la récompense des 100 000 euros reçus en 2011, elle a demandé au public de se lever et de chanter en cœur « Joyeux anniversaire papa Chirac », précisant que c’était l’anniversaire de Jacques Chirac – ndlr, il est en fait né le 29 novembre 1932, et de conclure : « il faut une Mama africaine pour déranger tous ces protocoles… ».
« L’Afrique aujourd’hui ne demande pas la charité mais la justice… »
Elle s’est ensuite inspirée d’une chanson rwandaise, qu’elle a traduite en français, pour mettre en évidence la responsabilité individuelle qui incombe à chaque individu, précisant qu’il ne faut pas attendre des autres qu’ils endossent avant nous la part de responsabilité que nous n’aurions pas su exercer nous-mêmes. Et citant l’Appel de Tombouctou, elle a souligné qu’il ne s’agissait pas tant de l’appel de la Fondation Chirac qu’un appel lancé à chacun de nous de façon individuelle. Elle s’est alors exprimée sur la situation au Mali, « l’Afrique aujourd’hui ne demande pas la charité mais la justice. Nous en appelons à la responsabilité et à l’unité de ces pays traditionnellement engagés… », rappelant avec force et conviction que l’échec ou la victoire en Afrique sera celui de l’humanité toute entière, « si nous l’oublions aujourd’hui, l’adolescent africain saura nous le rappeler demain… ».
« Je vais donner les 100 000 euros aux mamans pour qu’elles cultivent… »
Maggy est alors revenue sur son Prix obtenu l’an passé et s’est expliquée sur l’utilisation des 100 000 euros remis. « Lorsqu’un jour un enfant est venu me voir et m’a dit qu’il souhaitait que ses parents meurent pour pouvoir venir vivre chez moi [ndlr : c’est la fondatrice de la Maison Shalom] et manger trois fois par jour, alors j’ai compris […] j’étais en train en créer un autre conflit social ». Suite au constat que son action auprès des enfants soldats générait un autre type d’injustice sociale, elle a décidé de remettre l’argent de son Prix entre les mains des agricultrices locales afin de favoriser le développement des coopératives agricoles – elles comptent aujourd’hui plus de 10 000 membres, à travers le mécanisme du microcrédit.
« L’obstiné dans le vrai a la grandeur… »
C’est en citant Victor Hugo, qu’Abdou Diouf a repris la parole pour adresser d’abord un vibrant hommage à Jacques Chirac : « Les opiniâtres sont les sublimes. Qui n’est que brave n’a qu’un accès, qui n’est que vaillant n’a qu’un tempérament, qui n’est que courageux n’a qu’une vertu ; l’obstiné dans le vrai a la grandeur ». Rendant hommage à sa vaillance, sa bravoure et son courage, il a souhaité féliciter son obstination à honorer fidèlement les principes qui l’ont toujours animé, ajoutant « l’humaniste ne s’est jamais effacé devant l’homme d’Etat ». Des idéaux qui, a t – il rappelé, ont « toujours été au cœur de la francophonie », pour laquelle la France a joué et continuera de jouer un rôle majeur et prépondérant.
« Qui aurait cru possible que se taisent les armes dans la région la plus violente de la Colombie ? »
Il a ensuite présenté le Père Francisco de Roux (Prix de la fondation Chirac) précisant qu’avec lui l’expression « déplacer des montagnes » prenait tout son sens. « Qui aurait cru possible que se taisent les armes dans la région la plus violente de la Colombie ? » s’est-il exclamé, précisant que la zone appelée « Magdalena Medio » – ndlr, le Magdalena Medio est une région du centre-nord de la Colombie – est en Colombie connue pour son extrême violence (meurtres, séquestrations…), sa pauvreté (malgré sa richesse en pétrole) et sa culture de la coca.
« Vous avez permis aux hommes, aux femmes, et aux enfants de cette région de rompre avec un passé qui semblait une fatalité et renouer avec un présent acceptable pour tous… votre programme force l’admiration » a t – il dit à l’attention du Père Francisco de Roux, alors que sur l’écran de la salle du théâtre Claude Lévi-Strauss passaient des images de la région du Magdalena Medio gangrénée par la violence.
« Vous nous donnez une leçon d’humanité et d’espérance »
Abdou Diouf a beaucoup insisté sur l’engagement et la sagesse de l’homme qui n’a jamais refusé de tendre la main, au péril de sa vie, travaillant à concilier le développement au dialogue, « vous avez compris qu’il n’y avait pas de développement possible sans sérénité et sans paix », en gardant toujours à l’esprit la dignité comme principe fondamental, « votre conviction est qu’il existe en chaque être humain une valeur : la dignité… Vous nous donnez une leçon d’humanité et d’espérance ».
« La seule chose que j’ai toujours voulu garder c’est la dignité… »
Suite à la magnifique introduction d’Abdou Diouf et à la remise officielle du trophée « l’enfant feuille » au Père Francisco de Roux, ce dernier a pris la parole en français. Il s’est dit comprendre cet hommage comme un acte de reconnaissance à l’égard des millions de personnes qui ont donné et donnent leur vie pour prévenir les conflits et protéger la paix. Puis, il est revenu sur certains des noms de celles et ceux qu’il a croisé, chefs guérilleros ou militants de la paix et qui ont perdu la vie dans leur lutte, repentie ou non, pour la paix en Colombie.
« J’ai compris qu’un peuple cultive, partage […] sa dignité à travers sa culture »
Avec réserve et émotion, il a notamment parlé de cet homme, broyé par la barbarie, et qui depuis sa chaise roulante continue son combat. Il s’est souvenu de cette avocate, plusieurs fois séquestrée et sauvée avant d’être retrouvée morte, les membres et la tête tronçonnés au bord d’un ravin. Il a parlé de son combat qui, depuis les trop nombreuses funérailles de ses amis, a pris un autre tournant, « j’ai abandonné tous mes engagements politiques, toutes les explications théologiques, toutes les théories,…, la seule chose que j’ai voulu garder c’est la dignité humaine, ainsi que l’importance de la culture ». Il a alors ajouté : « j’ai compris qu’un peuple cultive, partage […] sa dignité à travers sa culture ».
Précisant les termes de son engagement au quotidien pour la paix, il a expliqué avoir toujours souhaité travailler avec tout le monde, sans exception : représentants politiques, industriels, associations, ONG, et même les paramilitaires et guérilleros. Concernant ces derniers il a précisé «j’ai toujours souhaité regarder en face les ombres avec eux pour clarifier les ambitions de leur cœur […] et qu’ils comprennent l’absurdité de la violence ».
« Notre plus grand défi et notre plus grande responsabilité morale, c’est la paix »
Il a conclu en avouant sa peine face à une Colombie pleine de richesse et si meurtrie par ces quelques mots : « je porte toujours en moi la douleur de la réalité colombienne, la richesse de son peuple, son potentiel économique et où le chiffre de la douleur est horrifiant […] notre plus grand défi et notre plus grande responsabilité morale, c’est la paix ».
Après le témoignage poignant et plein d’humanité du Père Francisco de Roux, Abdou Diouf est revenu sur le parcours militant et engagé de la seconde lauréate, Radhika Coomaraswamy (Prix Spécial du Jury) qui a « parcouru le monde pour entendre les victimes et connaître les gens ». Il revient notamment sur ses propres propos à elle qui l’ont beaucoup marqué : « j’ai oublié le visage de la plupart des autorités internationales que j’ai rencontrées mais je n’ai jamais oublié les visages des victimes ».
Il salue le courage de celle qui a su « tenir tête en toute indépendance d’esprit face aux gouvernements » et son engagement tenace dans la mise en œuvre de la résolution 1612 des Nations Unies – ndlr : la Résolution 1612 du Conseil de Sécurité, adoptée le 26 juillet 2005, crée un mécanisme de surveillance et de communication des violations graves des droits de l’enfant pour les pays affectés par des conflits armés.
« Les droits des femmes quand ils sont bafoués ne sont pas seulement une régression pour les femmes, mais pour la famille humaine toute entière »
Enfin, il a rendu hommage à celle qui a toujours su voir derrière les enfants soldats – selon l’Unicef, il y aurait 300 000 enfants soldats à travers le monde, des enfants avant tout, et qui fait honneur « à toutes ces femmes engagées, toujours plus nombreuses, à faire bouger les lignes ». Il termine en appelant d’ailleurs à une grande vigilance concernant « les droits légitimes et chèrement acquis pour les femmes » qui, quand ils sont bafoués, ne sont « pas seulement une régression pour les femmes, mais pour la famille humaine toute entière ».
« Jamais plus de brutalité à l’égard des enfants »
Radhika Coomaraswamy a débuté son intervention avec quelques mots en français pour remercier chaleureusement l’honneur qui lui était fait par cette distinction de la Fondation Chirac, précisant qu’elle acceptait cet honneur « en son nom mais au nom de toutes les organisations qui travaillent à la protection des enfants dans le monde, à créer un cadre protégeant les enfants, à repousser les limites du système international ».
Elle a ensuite rendu hommage aux enfants, à ces enfants qui se battent et qui militent pour la paix, comme Malala Yousafzai, jeune militante des droits de l’homme pakistanais qui a récemment été prise pour cible des talibans. Elle a souhaité qu’il y ait la fin des enrôlements des enfants dans les conflits armés.
Elle a enfin souhaité terminer en félicitant toutes « les mamans qui chaque jour encouragent leurs filles à poursuivre leurs rêves de construire un monde meilleur ».
« Dans l’espace francophone […] il y a des droits qui régressent »
Faisant fi d’une légère entorse au programme initial, Yamina Benguigui, ministre déléguée aux français de l’étranger et à la francophonie, est venue appuyer les propos précédemment cités durant la cérémonie au sujet droits (enfants, femmes) et a affirmé son profond engagement, « son combat » pour les femmes et les enfants. « Dans l’espace francophone, il y a des femmes que l’on viole, utilisées comme butins de guerre, il y a des enfants soldats […] il y a des droits qui régressent ».
Elle a parlé de son voyage à Kinshasa, de l’horreur vécue par les femmes et les enfants, notamment depuis la reprise de la ville par le M23, et a invité à « mettre en lumière ces conflits qui n’ont souvent ni images, ni visages ». Elle s’est désolée qu’il n’y ait pas plus de prévention des conflits dans le monde et a conclu en disant : « la violence faite aux femmes et aux enfants, c’est la violence que nous faisons à l’humanité que nous sommes en train de tuer ».
Après deux heures d’une cérémonie placée sous le signe de l’humanité qui rassemble les hommes, de l’exemplarité qui donne de l’espoir, des sourires malgré la violence dont les hommes peuvent parfois se rendre coupables, la cérémonie de remise des Prix de la Fondation Chirac pour la prévention des conflits s’est terminée, laissant les lumières du théâtre Claude Lévi-Strauss du musée du Quai Branly s’éteindre doucement.
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