
KUMIUT a participé à la rencontre de l’ADEZAC avec Jean-Dominique Giuliani sur le thème : « L’Europe : menaces ou opportunités »
Le 02 octobre, KUMIUT a participé à la rencontre organisée par l’ADEZAC avec comme invité Jean-Dominque Giuliani, Président de la fondation Robert SCHUMAN et Conseiller spécial à la Commission européenne. Grand spécialiste de l’Europe, Jean-Dominique Giuliani, récemment auteur du livre : « Et si l’Europe restait le cœur du monde ? », est intervenu durant près d’une heure pour apporter ses éclairages et son analyse sur les enjeux de l’Union Européenne.

De gauche à droite : Jean-Dominique Giuliani, Président Fondation Robert Schuman, Gilles Granier, Directeur Général A.RH.OM, Marie Girard, Présidente ADEZAC
L’Europe, des intérêts communs pour un but ultime : la paix durable
Interrogé sur l’Europe, Jean-Dominique Giuliani est d’abord revenu sur ses valeurs fondatrices. Il a notamment rappelé que l’Europe – dans ses débuts CECA – avait cherché à tendre la main à l’ennemi dans une période d’après-guerre où l’on se disputait l’énergie, en proposant une association et un partage des intérêts. Il s’agissait d’une démarche très pragmatique sous-tendue par l’idée d’instaurer la paix de façon durable. Il s’agissait également, dès cette époque, d’anticiper la mondialisation en partant du postulat que l’effet de taille proposé par l’Europe serait le meilleur rempart face à la mondialisation.
Jean-Dominique Giuliani est ensuite revenu sur la période actuelle en reconnaissant que la gouvernance de l’Europe n’avait pas été très satisfaisante pour répondre à la crise en précisant néanmoins : « la vraie raison [de cet échec] c’est que l’Europe c’est nous ». Il a ainsi rappelé que si les Etats ne sont pas moteur, « les institutions se trouvent un peu en situation de déshérence ». Selon lui, l’Europe, créée il y a 60 ans, doit passer à autre chose, à une autre étape de sa construction.
L’Europe, une idée résolument moderne
Fervent défenseur de l’Europe, Jean-Dominique Giuliani pense que l’Europe doit apporter la preuve qu’elle reste un projet d’actualité tout à fait prometteur, ce qui est d’ailleurs sa conviction profonde, « je suis convaincu que le projet de l’Europe est très moderne dans son idée », notamment parce que l’Europe parle d’elle-même : « Si l’on ajoute la richesse des 28 états membres, on tombe sur le 1er PIB du monde, la 1ère zone de création de richesses avant les Etats – Unis et la Chine ».
Et dans le jeu de la mondialisation, qui selon lui « a tout de même permis à un milliard de personnes de sortir du sous –développement », même si la Chine est en train de rattraper son retard et à grande vitesse vis-à-vis de l’Europe, les 140 millions de français et d’allemand représentent, encore aujourd’hui pas moins que le PIB chinois, a – t -il rappelé, .
L’Europe n’agit que très rarement en totale autonomie
Jean-Dominique Giuliani a également voulu répondre à ceux qui condamnent l’Europe pour ses normes et contraintes en rappelant qu’elle n’a véritablement que cinq domaines où elle est en mesure d’exercer toute seule. Cinq domaines pour un seul et unique sujet, celui de la monnaie (union douanière, politique commerciale…). En dehors de ce sujet, « tout est de la compétence des Etats ».
Taille, frontières, équilibre des forces… l’Europe pose question
Concernant la question de l’équilibre des forces et des efforts au sein d’une Europe qui s’est considérablement élargie – 28 pays membres, Jean-Dominique Giuliani, interrogé sur le cas du désormais célèbre « plombier polonais » s’est voulu plutôt pragmatique. « A qui profite le fait que le PIB de la Pologne a doublé en 10 ans… ? Il ne faut pas oublier qu’il y a beaucoup d’entreprises françaises en Pologne ».
Concernant la question des aides apportées aux pays près des frontières de la vieille Europe, Jean-Dominique Giuliani est revenu sur le cas de la Grèce, rappelant que sans l’aide apportée, le pays serait tombé en faillite, ce qui aurait inévitablement entraîné une augmentation de l’immigration clandestine, « probablement vingt fois supérieure à ce qu’elle est » et fait du pays un lieu de tous les trafics. Plus généralement, en aidant les autres pays, l’Europe se préserve en réalité elle-même de menaces beaucoup plus graves à moyen long terme.
Concernant la question de la gestion, souvent décriée, des flux migratoires, qu’ils viennent de l’intérieur (Schengen) ou de l’extérieur, Jean-Dominique Giuliani a tenté de positiver le message. « C’est un fait, l’Europe fait rêver à l’extérieur… Elle constitue le 1er continent d’immigration du monde car c’est là que l’on vit le mieux », en précisant toutefois que « si l’on n’arrive pas à gérer ces flux aujourd’hui, c’est que les Etats persistent à vouloir garder la main en refusant de mettre en commun les efforts ». Cela aboutit à une dilution des moyens et à une situation mal gérée ; « nous traitons mieux les immigrés en Europe qu’ailleurs mais on ne peut pas dire qu’on les traite bien ». En termes de chiffres et de comparaison, le stock d’immigrés représente 72 millions de personnes en Europe, 40 millions aux Etats-Unis et 42 millions en Chine.
Pour Jean-Dominique Giuliani, qui a rappelé que l’Europe a besoin d’immigration pour son développement, puisqu’elle a notamment une population qui décroît, il est nécessaire d’avoir, d’un côté, une politique migratoire plus stricte et surtout « plus ferme à l’égard des pays qui exploitent les réseaux criminels (Egypte, Libye…) » et mieux adaptée pour accueillir, former et intégrer la main d’œuvre nécessaire.
Focus sur l’accord de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) : opportunité ou menace ?
Alors que la création imminente – 2015 – d’une zone de libre-échange transatlantique fait débat, Jean-Dominique Giuliani s’est voulu optimiste en rappelant que « la première zone de consommation au monde par le pouvoir d’achat se trouve sur le marché européen, devant les Etats-Unis et la Chine » et que la plupart des investissements se font encore en Europe aujourd’hui. Bien évidemment, a – t – il précisé, « le centre de gravité se déplace, les classes moyennes asiatiques, africaines et russes, vont petit à petit accéder aux marchés ».
Dans ce contexte, l’intérêt de l’accord de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) est d’essayer de formaliser et de renforcer les liens entre les Etats-Unis et l’Europe qui « demeurent le moteur de l’économie mondiale ». Cet accord conduirait d’ailleurs à la création de la zone de libre-échange la plus importante du monde. Pour Jean-Dominique Giuliani, « si la croissance est en Asie, pas l’économie – 48% de l’économie se fait entre l’Europe et les Etats-Unis et cela va le rester ». Avec le TTIP, a – t-il précisé, l’idée n’est pas tant de diminuer les droits de douanes – un point souvent évoqué – que d’essayer de rapprocher les normes. Il a ainsi rappelé que les Etats-Unis, que ce soit pour des raisons de sécurité ou de lobbys, se protègent, comme c’est également le cas de l’Europe dans le domaine agricole.
Sur la question des craintes suscitées par un alignement des normes et une ouverture plus grande du marché européen aux Etats-Unis, Jean-Dominique Giuliani s’est encore une fois montré optimiste pour l’Europe, « en matière commerciale, l’Europe a plus de moyens de pression que les Etats-Unis, notamment avec tous ses Etats membres en phase de rattrapage… C’est en Europe qu’on voit le plus de produits sophistiqués et chers… ».
L’Europe, le cœur du monde ?
Jean-Dominique Giuliani, a conclu son intervention en faisant référence au titre de son récent ouvrage : « Et si l’Europe restait le cœur du monde ? ». Résolument optimiste pour l’Europe, comme Voltaire pouvait l’être pour sa santé – « j’ai décidé d’être optimiste parce que c’est bon pour la santé », le Président de la Fondation Robert SCHUMAN voit dans l’Europe une force d’attraction considérable. Il prend pour preuve là où se tournent tous les regards de ceux qui commencent à bien gagner leur vie. L’Europe incarne, a – t –il souligné, « la société confortable et solidaire pour ceux qui vivent en Afrique, en Asie, ou encore en Amérique Latine… un exemple de quelque chose d’intelligent ».
Et de conclure « nos différences [sous-entendu au sein de l’Europe] ne sont que des nuances à l’égard du monde ».